Mardi 31 mars 2020 – Le P’tit Journal.
Par Samuel JOSEPH
Avocat et Enseignant-chercheur en Droit pénal et Procédure pénale. Maître Guerby BLAISE a critiqué les mesures gouvernementales qui, selon lui, paraissent insuffisantes pour combattre la propagation du coronavirus en Haïti.
En voici l’intégralité de sa lettre ouverte adressée dimanche dernier au Chef de l’État Haïtien dont la rédaction du média en ligne « Le P’tit Journal » en est détentrice.
Quelque part, le 29 mars 2020.
De: Me. Guerby BLAISE
Professeur à l’Université
À: Son Excellence, Jovenel MOÏSE
Président de la République d’Haïti
En ses bureaux.-
Objet : Lettre ouverte relative à la gestion de la pandémie du coronavirus.
Monsieur le Président,
Depuis votre première allocution suite à l’apparition du désormais «maite-vie» mondial dénommé coronavirus sur le territoire haïtien le 19 mars 2020, j’ai exprimé ma critique face à la prévision de la gestion de cette crise sanitaire que vous avez élaborée. Une prévision que j’ai estimée vider d’efficacité et d’objectivité. Votre deuxième allocution n’a pas été non plus convaincante en guise de propositions de mesures de sauvetage au potentiel carnage, qui pèse désormais sur la population haïtienne.
Progressivement, vous avez ouvert une boite aux conseils en vous montrant plus au moins réceptif aux différentes propositions; ce qui fait émerger à ce jour une amélioration considérable dans la gestion de cette crise sanitaire.
Toutefois, comme j’ai rappelé dans mon dernier bref article, l’adoption des mesures gouvernementales paraissent insuffisantes pour limiter les dégâts humains. Partant, il est sensé d’envisager d’autres opérations supplémentaires. Voilà pourquoi je me permets de vous adresser ce jour cette lettre ouverte.
En effet, avant d’élaborer mes propos, il importe d’attirer votre attention, Monsieur le Président, sur deux choses.
D’une part, si je me substitue au désœuvrement de certains acteurs, il ne faut pas du tout avoir à l’esprit que je pense disposer la/une solution irréversible pouvant aboutir à la disparition de cette crise; d’autant plus que je ne suis pas un professionnel de santé, encore moins un intensiviste (bon de toute façon le pays n’en dispose qu’un). D’autre part, bien que je sois enseignant-chercheur et juriste affirmé, notamment avocat de profession, ma plume revêt l’étiquette de simple citoyen engagé qui adule son pays. Cela dit, ma critique n’est rattachée à aucun fanatisme et de subjectivité. Non plus, je ne suis pas à la quête de votre disgrâce, Monsieur le Président pour occuper un poste à responsabilité. Car j’ai déjà servi mon pays au travers de votre ancien et valeureux Secrétaire Général de la Présidence, à la Primature sous la gouvernance de votre ancien Premier ministre CEANT, au Ministère de la Défense de l’administration du Président PRIVERT à la vôtre avec une reconnaissance particulière pour l’ancien ministre Hervé DENIS qui reconnaît les valeurs et au Conseil électoral provisoire en faisant quatre présidents, dont Emmanuel MENARD et Max MATHURIN dont je serai toujours reconnaissant. En tant qu’ancien candidat à la députation pour la circonscription de la Croix-des-Bouquets, le devoir citoyen m’appelle pour contribuer à ma façon à la solution de cette crise.
Alors, mes propos confinent dans l’intérêt général dans le but de pester contre cette pandémie.
De fait, il est aisé de concéder que l’expansion de cette pandémie nous montre que l’espace économique du monde est muté en un espace social, dont la solution ne réside que dans l’entraide humaine étendue. C’est sur la base du constat de la naissance de cet espace social que j’entends vous soumettre les propositions suivantes reposées sur la nécessité d’une gestion participative: l’opportunité d’une gouvernance d’union nationale.
Monsieur le Président, personne ne peut se permettre de douter de la pertinence de votre conseil scientifique relative à la gestion de cette crise sanitaire. Ainsi, il est certain que ces experts renommés vous dépeignent la dangerosité du virus, en ce qu’elle est majoritairement liée au problème respiratoire. De ce fait, le traitement des patients est tributaire des soins intensifs et des respirateurs artificiels.
Or, vous n’êtes pas sans savoir, Président MOÏSE que le pays ne dispose que d’un intensiviste et d’une cinquantaine de respirateurs artificiels. Alors, il est évident que nous sommes dépourvus de matériels sanitaires et de main-d’oeuvres qualifiés pour recourir à des soins de qualité face à notre potentielle panoplie de malades. Cette lacune sanitaire appelle la réunion d’un ensemble de secteurs de la nation.
D’abord, il s’avère impossible d’épargner le pays d’une profusion d’infectés sans la conscience d’une nécessité de la solidarité nationale. Il va sans dire, Monsieur le Président, que le civisme est à l’origine de la notion de solidarité nationale. En clair, il semble important de vous pencher sur l’urgence de tendre la main aux étudiants et certains élèves dans le but d’apporter leur aide dans cette lutte sanitaire. Leur utilité se justifie sous deux angles.
Premièrement , ils peuvent être utilisés pour faire respecter la «distanciation sociale» dans les marchés publics et dans les supermarchés, étant précisé que lesquels marchés devraient être placés sous l’égide des collectivités locales avec une rotation par localités entre 3 ou 4 fois par semaine.
Deuxièmement, selon les experts internationaux, la disparition de cette pandémie ne s’annonce pas pour demain. Alors, il est très probable que l’année scolaire soit perturbée de façon considérable. Dans cette optique, je suis désolé d’opposer à la fantastique idée «d’écoles numériques» proposées par votre ministre de l’éducation nationale.
Mais, le ministre aurait dû dire «au temps pour moi». Car, en toute sincérité, Monsieur le Président, cette idée est une pure utopie, en ce qu’elle est matériellement irréalisable du fait de la carence d’infrastructures majeures, notamment l’électricité et les interactions technologiques élèves-professeurs. On n’en est pas encore à ce niveau avancé, Monsieur le Président.
En revanche, le civisme des étudiants se montrerait efficace pour pallier l’absence des cours dans la mise en œuvre des séances de rattrapage assurées les week-ends après la pandémie. Il incomberait en ce sens à l’État de compenser financièrement ces étudiants à partir de la création d’un fonds d’urgence spécial sanitaire solidaire(FUSSS).
Ensuite, Monsieur le Président, le rôle du secteur privé est incontournable dans la gestion de cette crise. Comme vous l’avez bien évoqué lors de votre deuxième allocution, le Gouvernement n’est pas suffisamment armé pour lutter contre l’expansion de cette pandémie. Cela supposerait que vous seriez réceptif aux propositions et suggestions de tous les citoyens. Or, la gestion de cette crise ne peut pas transiter exclusivement par les idées et les belles propositions; mais il faut la mobilisation des moyens financiers importants pour au moins espérer diminuer de potentiels dégâts humains sans prétendre à pouvoir l’éradiquer totalement dans un temps record . Concrètement, la Conatel peut conclure un contrat d’exception avec les compagnies téléphoniques pour procéder à un prélèvement d’une somme d’argent par appel, par exemple une gourde, dans le but de créer le fonds d’urgence spécial sanitaire solidaire ( FUSS). Ce fonds serait destiné à porter une assistance sociale aux plus défavorisés situés dans des zones difficiles, revaloriser les salaires et primes de risque des professionnels de santé ainsi que des policiers et pallier le chômage partiel des professeurs et enseignants.
Aussi, l’État peut proposer aux investisseurs privés dans le domaine des produits de premières nécessités des avantages fiscaux pour subventionner certains produits vitaux au profit de la population.
Il est vrai que le Gouvernement vient de commander une quantité de matériels sanitaires en Chine pour faire face à cette pandémie.
Monsieur le Président, soyez réaliste.
À l’instar des grandes puissances du continent européen, les États-uniens meurent par centaine chaque jour pour insuffisance de matériels sanitaires. Récemment, de l’autre côté de l’Atlantique, le Gouvernement français a annoncé la commande de plus d’un milliard de masques destinés prioritairement aux soignants, et subsidiairement aux malades. Alors, Monsieur le Président, honnêtement, avec tout le respect que je vous porte, ce serait irresponsable de prétendre qu’un portefeuille de 18.000 millions de dollars américains sera suffisant pour la gestion de cette crise en terme de ressources matérielles. Donc, le recours aux industries textiles locaux s’avère non négligeable. Dans ce contexte, il pourrait être autorisé à ces industriels de mettre à la disposition de la République ces expertises et main-d’œuvres, moyennant une contrepartie financière sous forme de subventions ou avantages fiscaux .
Par ailleurs, le secteur de l’énergie électrique est fondamental pour la mise en œuvre de tous ces mécanismes. De ce fait, vous rendiez un grand service à la nation, Monsieur le Président, si vous acceptiez de vous bannir de l’orgueil et de la rancune pour solliciter le soutien de tous les entrepreneurs dans le domaine de l’énergie, comme E-Power, Haytrac, Sogener et autres.
Car à vous tout seul, Président MOÏSE, vous risqueriez être l’instigateur du potentiel carnage de la nation.
Monsieur le Président, permettez-moi de vous faire un bref rappel historique de la politique haïtienne.
En fait, depuis l’instauration de la démocratie haïtienne en 1987 et sa mise en œuvre au travers de la présidentielle de 1990, la gouvernance du pays se fonde sur la vengeance privée et l’institutionnalisation de la corruption. Nous avons toujours assisté à la méfiance de la population dans la succession des pouvoirs publics. Aucun, vraiment aucun, ne lui inspire confiance. Nos politiques et nos décideurs publics ont raté l’opportunité à l’occasion du tremblement de terre de 2010 pour faire naître la réconciliation nationale basée sur l’union nationale et la gouvernance participative.
Monsieur le Président, cette pandémie vous offre la possibilité de connaître une autre célébrité différente de vos prédécesseurs. Je ne vais pas vous apprendre que Président René PRÉVAL fut décédé dans un centre hospitalier inadapté à sa convalescence. Le premier Président démocratique du pays, son excellence Jean Bertrand ARISTIDE reste confiné dans sa résidence depuis son retour d’exil en 2011. Président Joseph Michel MARTELLY a besoin à ce jour d’un cortège de blindés et d’agents de sécurité pour sortir de chez lui. Sans reprocher à aucun de vos prédécesseurs d’un comportement malveillant lors de leur gouvernance, il est un fait qu’ils ne jouissent pas sereinement de leur célébrité malgré leurs talents respectifs, par exemple MARTELLY dans le domaine musical et ARISTIDE dans le domaine universitaire.
En revanche, Barack OBAMA, Francois HOLLANDE, Nicolas SARKOZY et certains anciens président dominicains craignent peu pour leur vie après leur présidence.
Face à cette réalité, Monsieur le Président, la nature tend à votre pouvoir le privilège d’être le pionnier de l’achèvement du travail patriotique de Dessalines; lequel basa sur l’union nationale, la gouvernance participative et l’équité.
Monsieur le Président, efforcez-vous pour ne pas voir en moi l’étiquette d’un des Conseils de la Sogener S.A, ayez de préférence l’humilité de me voir un citoyen qui admire son pays, dont le destin se trouve confiné dans votre sagesse, compréhension et dépassement de soi. Ainsi, pour le sauvetage de la population, votre pouvoir sera mélioratif si vous acceptez, sans orgueil, sans rancune, de vous asseoir autour d’une table de discussion avec les responsables de la sogener, de E-Power et Haytrac pour négocier une ENTENTE INTELLIGENTE afin de leur permettre d’être utiles dans la traversée apocalyptique de cette pandémie.
Loin d’être lâche, vous connaîtrez au contraire la grandeur d’un chef d’État incommensurable. Ainsi, vous pouvez envisager avec vos antagonistes une transaction pénale sans reconnaissance de culpabilité assortie du retrait de toute poursuite judiciaire intéressée par le parquet.
Enfin, malgré les divergences de sensibilité et d’orientation politiques entre l’opposition et votre gouvernance, cette épreuve sanitaire devrait appeler la participation active de tous les citoyens. Même les opposants. C’est sur la base de cette participation citoyenne qu’il me paraît opportun de vous demander tendre la main à l’opposition politique pour faire partie des acteurs dans la gestion de cette crise.
En réalité, personne ne peut avoir l’audace de vous demander de vous mordre le doigt en donnant des armes à votre adversaire politique pour vous battre à l’avenir. C’est une question de pur bon sens. Néanmoins, il ne vous serait pas préjudiciable de constituer un comité national de gestion de cette crise sanitaire avec la participation de la société civile, du secteur religieux, du secteur des affaires et des représentants de l’État et de l’opposition politique. Ce comité national pourrait avoir la mission de créer des subdivisions de comités départementaux en affectant trois à quatre investisseurs privés par département. À défaut d’une bonne gestion de ces fonds d’urgence, dont ceux en provenance des dons internationaux, tous les membres de ces comités pourraient poursuivis devant la justice haïtienne et à l’étranger.
Ce faisant, Monsieur le Président, vous auriez la chance d’entrer dans la chambre des Héros du pays, évitez un carnage à la population, épargner le pays de la réapparition des mouvements populaires du petrocaribe et bénéficieriez d’une immunité de circulation dans le pays sans avoir besoin d’être escorté de blindés à l’instar de vos prédécesseurs.
Écoutez la raison, Monsieur le Président!
Sans ce sursaut patriotique de votre part, j’aurais malheureusement le cœur lourd d’assister à distance au carnage de mes compatriotes et de ma famille , puisque je serai impuissant pour les sauver.
Me. Guerby BLAISE Avocat et Enseignant-chercheur en Droit pénal et Procédure pénale École doctorale de Paris Nanterre E-mail : [email protected].
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