Par Le P’tit Journal Haïti – Lundi 22 Février 2021.
Monsieur le Président, distingués membres du Conseil,
C’est en effet un honneur d’avoir à nouveau l’occasion de s’adresser à vous et de faire le point sur la situation en Haïti. Malgré le calme précaire qui règne actuellement dans le pays, les efforts de l’opposition pour renverser le président Moïse d’ici le 7 février, ainsi que les mesures prises par l’exécutif pour réagir à une prétendue tentative de coup d’État et à l’annonce d’un juge de haut rang de sa nomination à la tête de l’Etat par intérim d’Haïti, ont encore durci les positions des principaux acteurs de cette crise politique qui a trop longtemps affecté la vie de la population haïtienne.
Alors que le pays se prépare à entrer dans une période électorale tendue, la polarisation qui a défini la majeure partie du mandat du Président Moïse s’est encore accentuée, car les signes d’un rétrécissement de l’espace civique abondent et une situation humanitaire déjà alarmante continue de se détériorer.
La crise institutionnelle dans laquelle le pays est plongé depuis que le Parlement a cessé de fonctionner en janvier 2020, à la suite de l’expiration des mandats de tous les parlementaires de la Chambre basse et d’une majorité de sénateurs, sans élection législative, risque de s’approfondir à mesure que les relations entre les branches du pouvoir exécutif et judiciaire semblent de plus en plus tendues, et le président Moïse continue de gouverner par décret.
Alors que, ces derniers mois, l’opposition n’a pas réussi à mobiliser un large soutien populaire pour sa campagne visant à évincer le Président, la récente publication par ce dernier de décrets retirant effectivement trois juges de la Cour de cassation et nommant leurs remplaçants a incité plusieurs associations de magistrats à lancer une grève illimitée qui menace encore de paralyser un système judiciaire déjà dysfonctionnel. En outre, le 14 février, quelque 3 000 manifestants ont défilé pacifiquement dans les rues de Port-au-Prince pour dénoncer ce qu’ils jugent être un risque imminent de retour à un régime autoritaire.
J’ai mentionné que les préoccupations persistantes concernant le rétrécissement de l’espace civique dans le pays. La définition trop large du terrorisme énoncée dans un décret du 26 novembre sur la sécurité publique – pour inclure des infractions moins graves telles que le vandalisme et l’obstruction des routes, ainsi qu’une augmentation des menaces dirigées et des attaques contre les journalistes, les avocats, les juges et les droits de l’homme défenseurs, tous risquent de refroidir le débat public et de restreindre des droits aussi inaliénables que ceux de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et de réunion pacifique.
De même, la situation humanitaire dans le pays est de plus en plus désastreuse. Les dernières estimations indiquent qu’environ 4,4 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire en 2021, en grande majorité en raison d’une augmentation de l’insécurité alimentaire aiguë. Alors que des facteurs tels que la pandémie COVID-19, son impact économique, la violence des gangs et le passage de la tempête tropicale Laura ont contribué à exacerber les besoins humanitaires en 2020, les facteurs sous-jacents sont étroitement corrélés avec les tensions sociopolitiques persistantes et les déficits de développement chroniques.
Distingués membres du Conseil,
C’est dans ce contexte complexe et potentiellement instable que des progrès continuent d’être réalisés dans la préparation des divers événements électoraux prévus cette année. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) a maintenant installé ses bureaux dans les dix régions d’Haïti, permettant ainsi à la logistique et à la planification opérationnelle de démarrer sérieusement. En outre, le gouvernement haïtien a versé 20 millions de dollars au fonds commun électoral géré par l’ONU pour financer à la fois l’achat de matériel de vote et la formation du personnel électoral, ainsi que pour couvrir les coûts opérationnels et logistiques pour la tenue d’un référendum sur une nouvelle constitution, dont le projet de texte a été rendu public le 1er février.
Pourtant, il reste encore beaucoup à faire. Le rythme et la portée des consultations sur le projet constitutionnel doivent être considérablement améliorés. En effet, s’il existe un consensus général parmi les parties prenantes haïtiennes et la population en général sur la nécessité de changer la charte actuelle du pays – considérée par beaucoup comme l’une des causes profondes de l’instabilité chronique d’Haïti, dans un climat polarisé, le processus choisi par le gouvernement adopter un tel changement est encore perçu par certains comme un manque de légitimité. Tous les secteurs de la société haïtienne, y compris les partis politiques, le secteur privé, la société civile, les églises, les groupes de femmes et la diaspora, devraient avoir amplement l’occasion de débattre et de contribuer au projet de texte. De plus, pour que les voix haïtiennes soient bien entendues, des efforts supplémentaires doivent être déployés pour faire en sorte qu’un plus grand nombre de citoyens haïtiens soient enregistrés et reçoivent la nouvelle carte d’identité nationale qui leur permettra de voter.
Le Gouvernement doit fournir au Bureau d’Identification Nationale le soutien dont il a besoin pour intensifier sa campagne d’enregistrement. Enfin, malgré la contribution initiale du gouvernement, l’ensemble du processus électoral reste gravement sous-financé. Cette situation requiert l’attention urgente des partenaires internationaux d’Haïti, de peur que les élections législatives, présidentielles et locales ne soient retardées.Par-dessus tout, un consensus minimal entre les acteurs politiques concernés contribuerait grandement à créer un environnement propice à la tenue du référendum constitutionnel et des élections ultérieures. Le BINUH est prêt, conformément à son mandat, à soutenir tous les efforts véritables visant à favoriser un tel résultat. Le peuple haïtien mérite l’opportunité de s’exprimer à travers les urnes dans un climat apaisé et de décider activement de la direction que prendra son pays, à l’abri de la peur de l’intimidation et de la violence politique.
À cet égard, elle peut compter sur une force de police de plus en plus professionnelle, dont près de 15 000 hommes et femmes déployés à travers le pays s’efforcent d’améliorer la sécurité publique. Certes, relever les défis sécuritaires liés à la tenue du référendum et des élections représentera un test crucial pour la Police nationale haïtienne, tout comme les menaces posées par l’association de certains de ses officiers mécontents avec des groupes criminels tels que le «Fantom 509” continuent de nuire à ses performances.
Cependant, avec les conseils stratégiques des Nations Unies et le soutien approprié des autorités nationales et des partenaires internationaux, je suis convaincu que cette institution, qui est au cœur de l’état de droit et de la stabilité en Haïti, continuera à développer ses capacités. conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme et de police. À l’inverse, je suis profondément préoccupé par la récente recrudescence des enlèvements ainsi que par l’impunité persistante et le manque de responsabilité pour les crimes graves en Haïti. Pour lutter contre ces fléaux qui contribuent grandement à l’instabilité du pays, les autorités doivent démontrer leur détermination et leur capacité à arrêter et à poursuivre les criminels et les auteurs de violations des droits de l’homme, ainsi qu’à prendre des mesures concrètes pour protéger les citoyens.
Monsieur le Président,
Malgré les sommes considérables et les efforts infatigables investis dans le développement d’Haïti au cours des 25 dernières années, les progrès du pays vers la réalisation des objectifs de développement durable semblent avoir stagné et, dans certains cas, ont même régressé. Il est évident que l’efficacité et l’impact du développement en Haïti restent très faibles. Pour aller de l’avant, une collaboration et une confiance accrues entre le Gouvernement et les partenaires internationaux sur les problèmes structurels d’Haïti seront essentielles pour mieux hiérarchiser les domaines d’intervention et pour élaborer des solutions intégrées efficaces aux défis d’Haïti.
Néanmoins, alors même que la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes prévoit que l’économie haïtienne se contractera de 3% en 2021 et que la pire crise économique qui affectera la région depuis 100 ans aura un impact négatif sur le pays après le COVID-19 reprise, seul un renouveau démocratique, résultant de la tenue rapide d’élections crédibles, transparentes et participatives, peut fournir à Haïti l’occasion de surmonter sa crise politique prolongée et permettre à sa société et à ses dirigeants de concentrer leur attention sur la mise en œuvre de la gouvernance et des réformes économiques nécessaire pour remettre le pays sur la voie du développement durable.
Merci.
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